Claude Gauvreau, qui oscille depuis quelque temps entre la raison et la déraison, entre le réel subjectif et l’irréel lourd d’évidences, croit qu’il va mourir. Mais on ne meurt pas comme ça. Il écrit, « au compte-gouttes, réplique par réplique », une pièce qui ne sera pas jouée : « La charge de l’orignal épormyable ».
Et c’est près de 15 ans plus tard que de jeunes découvrent sa pièce, la trouvent « extraordinaire » et suscitent la rentrée peut-être décisive de Gauvreau dans le réalité poétique globale de 1970. La charge est violente, terrible. J’ai lu la pièce, que je trouve tout à fait épormyable. Claude Paradis, ingénieur, ex-professeur de mathématiques au cégep de Rosemont, sculpteur et, je suppose, metteur en scène, dirige les comédiens, dirige « Zéro ».
J’aurais voulu, avec Gauvreau, refaire à l’envers l’itinéraire parfois sombre, parfois lumineux qui l’a mené jusqu’à ce jour. Il est aujourd’hui en pleine forme, prêt à charger. Les circonstances de l’interview n’ont pas permis ce voyage. Il ne reste de ces deux heures qu’une impression à la fois vague et précise, qu’une admiration indécente pour celui qui, par plusieurs de ses contemporains, à été classé, une fois pour toutes, sous l’étiquette « fou ».
J’ai rappelé tout à l’heure les circonstances dans lesquelles « La charge » a été écrite. Mais il n’y a pas que les circonstances. Si cette pièce est en effet une charge contre l’univers concentrationnaire des cliniques psychiatriques (et, peut-être, de la société québécoise de 1956), elle est aussi, malgré le lyrisme pur qui affleure souvent, malgré la poésie, si on veut, une froide construction par laquelle, si j’ai bien compris, Gauvreau rend compte de son exploration de l’inconscient.
Sa recherche des « zones inexplorées » de l’homme, si on suit un peu sa carrière (et malgré l’absence temporaire de textes sur quoi on pourrait appuyer cette affirmation), paraît être la principale constante de l’aventure de Gauvreau. « La charge » est une pièce qui, selon son auteur, est isolée dans sa production. «Ce fut un règlement de comptes et j’ai voulu faire voir l’atroce du sacrifice de l’inestimable».
Cela nous ramène à la folie. Gauvreau cite quelqu’un que je ne connais pas : « on confond encore et toujours originalité et folie, » je suis d’accord. Et n’en parlons plus. Parlons de l’artiste et de son art. Ou plutôt, laissons-le en parler.
Oui, parce que c’est ma raison d’être. Je préfère être du parti des mégalomanes, plutôt que celui des miniaturistes.
Créer beaucoup, créer toujours, créer grand.Mon seul critère, c’est l’authenticité, c’est le geste créateur par quoi la volonté est au service d’un désir.
On sent que l’homme n’est pas toujours sûr de lui, qu’il a constamment besoin de se sentir justifié. À propos de Zéro, il dit : « je les vois jouer et je me sens justifié ». Gauvreau est justifié, par Zéro, et Borduas avait raison : « je lui disais mon besoin de triompher, après avoir été tellement brimé. Borduas m’a dit : ça se produira, mais de façon imprévisible. »
Gauvreau trouve la phrase de Borduas prophétique. Moi pas. On ne fait pas carrière en art comme on le fait dans la carrière. C’est Gauvreau qui a raison quand il dit : « Je me compare à la tortue : les lièvres chamarrés finissent par se faire dépasser, »
article de Réginald Martel