COURRIER DES LETTRES ET DES ARTS
Le Devoir, 24 avril 1976
Des voix de la Chambre noire pour demi-voyant
Attention de Adrien Gruslin, critique théâtral

Nous avons répondu à la critique du Devoir
Notre lettre a été publiée
Nous avions du culot!
Nous en avons toujours

Cher monsieur,

Puisque dans votre article du 5 avril 1976 sur notre spectacle Chambre noire pour demi-voyant, vous avouez si candidement n'y avoir rien compris, puisque vous y cherchez des rapprochements aussi éloignés que «Stroms, anagramme parfait de morts» bien que ce ne soit qu'un son, un langage inarticulé contrastant en ce moment avec la parole quotidienne se rapprochant davange de «stron(e)», ce qui ne donne plus du tout «morts» mais «norts», que vous semblez avoir perdu dans le vain espoir d'y comprendre quelque chose à tout prix, peut-être supporterez-vous que nous vous apportions quelques petits éclaircissements.

Vous parlez d'abord d'insolite que nous cultiverions et qui voudrait provoquer l'inquiétude et, n'y parvenant pas le soir où vous étiez là, a au contraire provoqué le rire. Et si l'insolite (ou le nouveau/le différent etc.) voulait justement provoquer toutes les émotions? Est-ce que ça n'entre pas dans les catégories bien définies, identifiables, prévues?

Bien qu'une réaction «collective» comme celle de ce soir-là ne se soit produite qu'une fois jusqu'à maintenant, tenant beaucoup plus du «phénomène de foule» (où chacun se rabat sur l'ensemble pour se faire une idée et ce, à l'image même de votre critique s'appuyant de manière boiteuse sur un public) que de perception véritable, individuelle et personnelle.

En ce qui a trait à «la pauvreté extrême du jeu des acteurs» vous pensez bien, je le suppose, que nous n'aurions pas fait disparaître les acteurs sous tant de masques anonymes et de tissus informes, dans tout ce noir, si nous avions voulu mettre le jeu corporel en valeur. Nous avons plutôt voulu créer une atmosphère envoûtante où tout surgit, apparaît et disparaît, même si vous (et contrairement à plusieurs réactions que nous avons reçues) vous ne l'avez pas perçu, vécu, peut-être trop occupé à chercher des liens rationnels ou une belle histoire qui n'existaient pas.

Bien que vous sembliez en voir contre la marginalité (terme que nous ne révoquons pas puisque signifiant pour nous aller hors des sentiers battus - souvent des autoroutes - hors du banal, du cliché même dit populaire ou politique) ou que vous accordiez de la valeur à notre recherche parce qu'elle existe depuis 5 ans, comme si vous posiez ces postulats de crainte de paraître réactionnaire, nous espérons

que vous assisterez à notre prochaine présentation où les gens riront peut-être au moment où vous auriez cru le contraire, celle-ci étant une pièce déjà existante, établie et nous pouvons presque vous assurer que vous en comprendrez le sens.

Ceci étant dit, et bien que cela ne se fasse peut-être pas (de répondre à un critique) nous avons tenu à le faire ne serait-ce que pour corriger ces quelques inexactitudes, chacun étant libre bien sûr d'y voir ce qu'il veut, même et surtout un critique et d'aimer ou non.

Bien à vous

Pierre A. Larocque
Robert Charron
Jacques Crête
Johanne Pellerin
Thérèse Isabelle
Denis O'Sullivan

Montréal, le 10 avril 1976